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Trois questions à Pierre NOUAL, auteur de « Restitutions »



Restitution Dahomey Afrique Pierre Noual Belopolie Livre
Ill. : Le samedi 26 novembre 1892, Le Petit Journal met en une de son supplément une gravure illustrant, au Dahomey, cinq soldats français examinant « Les fétiches de Kana – Le dieu de guerre », comme le précise la légende.


ALEXANDRE CURNIER pour BELOPOLIE. Pourquoi la publication d'un ouvrage sur les restitutions était devenue nécessaire ?

PIERRE NOUAL. Nombreux sont les mots pour désigner le déplacement des œuvres d’art dont l’histoire est émaillée depuis l’Antiquité jusqu’à l’actuel trafic illicite des biens culturels, en passant par les guerres et la colonisation des territoires. Ces pays humiliés par l’Histoire ont peu à peu gagné leur indépendance et c’est avec l’espoir de réparer le passé qu’ils tentent depuis des décennies de reconstruire leur identité, en cherchant à obtenir, avec plus ou moins de succès, le retour des biens qui leur ont été soustraits. Toutefois, force est de reconnaître que les nombreux idéologues du patrimoine accaparent la parole publique en dressant instinctivement contre les restitutions les seuls principes de l’inaliénabilité des collections publiques et de l’universalisme du musée occidental. Or, cette opposition dessert la compréhension de ce que sont ces derniers et leur implication pour le renouvellement d’une doctrine en matière de restitutions. C’est la raison pour laquelle ce livre souhaite aborder frontalement et analytiquement les restitutions en dressant un panorama le plus large possible de la question. Entre les restitutions des biens ayant permis la constitution des collections des grands musées aux XIXe et XXe siècles, celles issues du trafic illicite ou des biens spoliés par les régimes fascistes, la restitution est nécessairement plurielle, tant ses racines, ses concrétisations et ses enjeux englobent une réalité hétérogène dont les forces en présence traitent d’un flux d’attractions-répulsions qui s’interpénètrent et gagneraient à être mieux compris par chacun d’entre nous. Cet ouvrage constitue une pierre, et non l’édifice, pour ouvrir les débats et les réflexions de manière éclairée car les restitutions ne dénaturent pas le champ du patrimoine culturel mais elles lui octroient sa maturité.



Les « adieux » du président de la République Emmanuel Macron aux 26 trésors rendus au Bénin scellent-ils réellement une nouvelle politique des restitutions ?

Il est certain qu’en actant par la parole présidentielle et le verbe législatif le retour des biens emportés d’Afrique, un nouveau chapitre des restitutions a été ouvert. La loi du 26 décembre 2020 relative au transfert de biens culturels au Bénin et au Sénégal a rappelé que l’inaliénabilité des collections publiques n’ayant pas de valeur constitutionnelle il était loisible d’y déroger par une loi circonstanciée, un point omis à escient par les prétendus experts de l’anti-restitution. Les colonnes du temple muséal ne sont plus immuables et il convient désormais d’écrire et de penser les restitutions. Pour autant, le choix législatif pour ces premières restitutions à l’Afrique s’avère peu encourageant pour une réforme d’ensemble, dans la mesure où le Sénat a ressenti la nécessité que la France réaffirme son attachement à la pertinence de la conception universaliste de ses musées. Encore récemment, les sénateurs qui avaient ouvertement dénoncé un « fait du prince », un véritable « lit de justice », ont déposé une proposition de loi pour que soit instauré un « Conseil national de réflexions sur la circulation et le retour de biens culturels extra- européens ». Par principe cette idée n’est pas dénuée d’intérêts mais en pratique ce dernier serait absolument redondant par rapport aux forces vives des administrations centrales et des musées nationaux. Il est vrai que la création, par le même Sénat d’une « Commission scientifique nationale des collections » a su démontrer son inutilité et son inaction, ayant justifié sa suppression en 2020. Ce nouveau Conseil voulu par le Sénat risquerait seulement de brouiller le message diplomatique et politique adressé aux États africains et symboliserait davantage le désaveu de l'action du ministère de la Culture qui n'aurait pas su réorienter les commissions déjà existantes pour un contrôle efficient en matière de restitutions.



Comment interpréter l'action de la France qui vient de s'engager dans la restitution de plusieurs œuvres aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites ?

Les restitutions issues des spoliations nazies se distinguent fortement des autres types de retours liés aux fouilles illicites ou aux translocations patrimoniales, tant par leurs intentions que par le statut de ces biens. L’originalité de ces restitutions a trouvé sa place dans l’immédiat après-guerre, période durant laquelle le législateur français a œuvré pour favoriser le retour des biens culturels spoliés à leurs véritables propriétaires. Après une politique de restitution énergique et volontariste, un long oubli s’est instauré avant un regain d’intérêt depuis quelques années. En ce sens, le récent dépôt d’un projet de loi par le Gouvernement français relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayant droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites est une avancée majeure puisqu’il s’agit de la première loi depuis 1945 en la matière. Ainsi, par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises, le projet de loi autorise la remise de quatorze œuvres, aux origines douteuses ou incertaines, à leurs propriétaires légitimes : Rosiers sous les arbres de Gustave Klimt (musée d’Orsay), une toile de Maurice Utrillo (musée Utrillo-Valadon) et un ensemble de 12 dessins et sculptures de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Pierre-Jules Mène, Henry Monnier et Camille Roqueplan (musée d’Orsay, musée du Louvre et château de Compiègne). Derrière ce « coup » médiatique, ce nécessaire projet de loi interroge puisqu’il demeure une vraie lacune dans le Code du patrimoine pour qu’une disposition législative facilite la sortie des collections publiques afin d’éviter d’avoir recours à des lois d’exception qui ne cessent d’engorger inutilement le Parlement français.




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