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Une loi pour restituer les biens culturels spoliés par les nazis


Les œuvres d’art spoliées par le régime nazi sont à la fois les témoins et les objets déchires par l’Histoire. Aussi la loi du 22 juillet 2023 marque une avancée majeure pour faciliter la restitution de ces biens culturels.


Pierre Noual. Une loi pour restituer les biens culturels spoliés par les nazis


En 1944, le professeur et résistant Émile Terroine expliquait que « la restitution des biens spoliés est une œuvre de justice et d’humanité dont la signification morale et politique dépasse de beaucoup les valeurs matérielles. Elle doit être, aux yeux de la France et du monde, une des grandes manifestations tangibles du rétablissement du droit et de la légalité républicaine » (É. Terroine, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, AN, 29 déc. 1944, p. 12). Autrement dit, il s’agit avant tout pour les descendants des personnes spoliées par le régime nazi ou le régime de Vichy d’obtenir la reconnaissance par l’État de la spoliation, car si la fascisation du droit a permis la mise au ban de la société des Juifs, le droit a été également un moyen de réhabiliter ceux-ci à la Libération.


Il est vrai qu’en réaction aux actes de spoliation par l’Allemagne nazie, aidée par la France de Vichy, les personnes spoliées ont dû attendre l’élaboration de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, considérée comme le texte le plus complet en la matière. Ce dernier a instauré une nullité spéciale permettant aux personnes spoliées ou à leurs ayants droit d’agir en revendication de leurs biens contre ceux qui les détenaient (Récemment Cass. 1re civ., 1er juill. 2020, n° 18-25.695).


Ce n’est pas pour rien qu’à l’occasion de la réforme de la chaîne d’acquisition dans les musées nationaux, ces derniers ont été invités à « vérifier [la] localisation [de chaque objet] entre les années 1933 et 1945 pour s’assurer qu’il n’a pas fait l’objet d’une spoliation ou d’une vente forcée » (Ministère de la Culture, Vade-mecum des acquisitions pour les conservateurs des musées nationaux, mars 2017, p. 8). Les professionnels ont alors assisté à un revirement, puisqu’au moment de la commission Mattéoli, en 1997, les œuvres qui avaient fait l’objet de ventes forcées pendant la guerre n’étaient pas considérées comme spoliées. Aujourd’hui, comme les confiscations par l’administration de Vichy et les ventes à vil prix par des propriétaires Juifs aux abois pressés de fuir, elles sont reconnues comme des faits de spoliation (F. Legueltel [dir.], Rapport du groupe de travail sur les provenances d’œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale, mars 2017, p. 14) – bien que la preuve d’une vente forcée ne soit pas toujours aisée : c’est avec peine que les héritiers du marchand spolié René Gimpel ont pu obtenir la restitution de trois œuvres d’André Derain (CA Paris, 30 sept. 2020, n° 19/18087).


À la différence des MNR, ces œuvres font partie des collections publiques, et donc inaliénables au regard du Code du patrimoine et du Code général de la propriété des personnes publiques. Afin de pallier à l’entrée légale dans le domaine public d’œuvres aux origines douteuses, le législateur procède depuis longtemps par à-coups au travers d’un passe-passe juridique : celui du « déclassement législatif » dans la mesure où la règle de l’inaliénabilité, n’ayant pas de valeur constitutionnelle, il lui est loisible d’y déroger par une loi. Ce sont des lois qui ont ainsi autorisé les restitutions de la dépouille mortelle de la Vénus Hottentote à l’Afrique du Sud, des têtes maoris à la Nouvelle-Zélande ou plus récemment du sabre d’El Hadj Omar au Sénégal et du Trésor de Béhanzin au Bénin. Cette « désinaliénabilité » demeurait jusqu’à présent une terra incognita en matière de spoliations nazies. Aussi, l’annonce de la première restitution d’une toile entrée légitimement dans les collections nationales, Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, a jeté un pavé dans la mare au printemps 2021.


Alors que le recours à des lois d’exception semblait peu encourageant, il n’est pas anodin qu’une réflexion ait été engagée pour réfléchir à l’introduction d’une loi-cadre visant à définir les grands principes et modalités de restitutions des biens spoliés présents dans les collections publiques. Si les parlementaires se sont montrés réservés quant à une forme de « banalisation administrative » des restitutions (F. Colboc, Rapport n° 4911, AN, 18 janv. 2022 ; B. Gosselin, Rapport n° 469, Sénat, 9 févr. 2022), le Conseil d’État a estimé que ces obstacles devaient pouvoir être surmontés afin d’éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d’accélérer les restitutions (CE, 7 oct. 2021, avis n° 403728).


Aussi, la récente loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 vient modifier en profondeur le régime applicable puisque par dérogation aux principes de la domanialité publique, une personne publique peut désormais prononcer – sous réserve de l’aval de plusieurs autorités – la sortie d’un bien culturel spolié entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 et qui a été incorporés par acquisition, dons ou legs aux collections des musées de France appartenant aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif.


Surtout, d’autre modalités que la restitution peuvent être imaginées, notamment une compensation financière et dont l’idée provient du musée Labenche de Brive-la-Gaillarde qui, en 2021, avait préféré indemniser les propriétaires d'une tapisserie spoliée en 1936 en Autriche.


Néanmoins, cette ambitieuse loi du 22 juillet 2023 n’est pas sans interroger car de nombreux musées ont pu acquérir ou recevoir par donations et legs des œuvres dont la provenance n’est pas précisément établie. Prenons un cas hypothétique où un collectionneur aurait donné ou légué plusieurs biens culturels avec la charge pour le bénéficiaire muséal de les présenter impérativement au public ou de ne pas pouvoir les vendre. Or, un seul de ces biens devrait aujourd’hui être considéré comme spolié. Celui-ci pourra être restituée, mais les conditions de la donation ou du legs seront-elles toujours présentes ? Il est vrai que lorsque les charges imposées au bénéficiaire ne sont pas exécutées, la libéralité peut être révoquée ou révisées. Certes les héritiers ne pourront pas obtenir la restitution du bien spolié, mais les autres biens acquis dans des conditions « normales » pourraient-ils par le jeu de la révocation venir accroître leur patrimoine des descendants ? On devine alors les conséquences sur les successions et l’importance de la vigilance dans la rédaction des clauses futures d’une libéralité à un musée.


En définitive, la recherche de provenances des biens culturels est la seule à pouvoir garantir une distinction entre les œuvres mal acquises, qui doivent être restituées, et celles qui pourraient être conservées légitimement par les descendants.

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