La loi relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victime de persécutions antisémites vient d’être promulguée. Analyse !
Ill. : Assemblée nationale
En rendant possible, par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections des musées de France, la restitution de quinze œuvres d’art aux ayants droit de victimes juives spoliées par le régime nazi, la loi du 21 février 2022 peut assurément être qualifiée d’historique (voir ici). Pour autant, il convient désormais de penser activement l’avenir des restitutions dans la mesure où ce texte constitue une pierre et non l’édifice. Là est l’enjeu pour éviter d’engorger inutilement un Parlement déjà fort occupé par des futurs projets de lois visant à restituer des biens spoliés qui nécessitent une autorisation pour sortir du domaine public.
Il n’est donc pas anodin qu’une réflexion ait été engagée pour réfléchir à l’introduction d’une loi-cadre visant définir les grands principes et modalités de restitutions des biens spoliés présents dans les collections publiques. Alors que les parlementaires se sont montrés réservés quant à une forme de « banalisation administrative » des restitutions, le Conseil d’État a estimé que ces obstacles devaient pouvoir être surmontés afin d’éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d’accélérer les restitutions. La tâche reste ambitieuse mais nécessaire afin de définir des critères qui ne soient ni trop étroits pour ne pas faire obstacle à des restitutions légitimes, ni trop larges pour ne pas remettre en cause le sacro-saint principe d’inaliénabilité des collections publiques. Cela pourrait aboutir à une disposition législative dans le Code du patrimoine, à l’instar de l’article L. 124-1 du Code du patrimoine qui permet d’annuler « l’acquisition d’un bien culturel en raison de son origine illicite ».
C’est donc de la recherche de provenances des œuvres que pourra être réalisée une distinction entre les œuvres mal acquises, qui doivent être restituées, et celles qui pourraient être conservées. Il s’agit là d’éviter une inexorable concurrence des mémoires entre le patrimoine juif spolié et le patrimoine issu du contexte colonial. Alors que l’Allemagne a fait le choix de réfléchir au sort de ces deux derniers dans une même structure, le Deutsches Zentrum Kulturgutverluste, la France gagnerait à rassembler ses forces vives, aujourd’hui éparpillées, au sein d’une même entité. Il est vrai qu’en ayant récemment approuvé un avant-projet de loi reconnaissant le caractère aliénable des biens liés à son passé colonial, la Belgique est devenue le fer de lance des restitutions en Europe (voir ici) et la France, qui a fait figure de pionnière avec le discours du Président de la République Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017, peine à trouver le chemin pour favoriser le retour des biens culturels pillés et emportés pendant la période coloniale depuis la loi du 24 décembre 2020.
Pour ne pas aboutir à un irréconciliable « deux poids, deux mesures », la balle est dorénavant dans le camp français pour éviter un sempiternel débat politique sur l’opportunité des restitutions. Ce « bien agir patrimonial » favoriserait les nouvelles formes de la responsabilité auxquelles les musées publics doivent souscrire en ouvrant frontalement le débat des provenances puisqu’il est certain que ces derniers ne peuvent plus continuer de conserver des objets mal acquis. En écartant définitivement le recours à des « lois d’exception », la rue de Valois se draperait enfin dans une vraie politique patrimoniale. L’attente n’a que trop duré pour les biens culturels, témoins brisés par l’Histoire.
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